Sempé, José Muñoz, George Grosz, James Ensor, Frederico Fellini, Emil Nolde, Samuel Beckett, l’écriture automatique, le Japon… la liste des influences de Nicolas de Crécy (1966) est d’une longueur impressionante.
Pour la plupart ce sont des influences du XXe siècle. Quoique le Musée du Louvre ne montre que des oeuvres d’avant 1848,* ceci ne pose pas de problème pour Nicolas de Crécy : avec une facilité apparente, il offre un vision contemporaine du patrimoine mondial séculaire rassemblé dans les salles derrière la pyramide de verre du Louvre. De telles oppositions ne découragent pas l’auteur de bande dessinée français, bien au contraire. Au début des années 1990, le jeune diplômé de l’école des Beaux-Arts d’Angoulême travaille pendant deux ans aux Studios Disney dans la banlieue parisienne. Ce n’est que le soir que le jeune auteur de bande dessinée a l’occasion de poursuivre ses rêves. C’est ainsi qu’il débute en dessinant, sur un scénario de son copain de fac Alexios Tjoyas, « Foligatto », un conte noir sur un chanteur castrat qui retourne à sa triste ville natale pour y donner quelques concerts. Un tel thème serait impossible chez Disney, et ça n’est certainement pas un hasard.
A ses débuts, De Crécy joue le grand jeu – comme s’il voulait y réunir d’un seul coup toutes ses influences. Foligatto est un succès critique immédiat et, en 1992, lui vaut le prestigieux prix d’encouragement Prix du Lion. Comme une réaction à la richesse de couleurs baroque de Foligatto, pour sa bande dessinée suivante De Crécy choisit un style beaucoup plus épuré. Cet album, « Léon la Came », satire mordante sur l’air du temps néo-libéral, déborde de paysages urbains hallucinants, qui deviendront plus tard le style caractéristique du dessinateur. Et, de nouveau, les personnages y sont freudiens jusqu’aux os : l’un est encore plus bizarre que l’autre. Avec un sens aigu de l’absurde du quotidien, l’auteur sait transmettre la vie de tous les jours sur papier. L’autodérision ne lui est pas étrangère. Ainsi, par exemple, le narrateur de son album « Le Bibendum céleste » est une tête parlante ostentatoirement placée au milieu d’une table. À ce moment-là, l’auteur vient bel et bien de quitter Disney.
Le Louvre se présente pour Nicolas de Crécy comme un terrain de jeu rêvé: c’est un trésor culturel dans lequel il peut se plonger à volonté. Le plus grand musée du monde lui offre des richesses visuelles inouïes et un regard kaléidoscopique sur l’humanité, qu’il sait exploiter de manière caustique.