Avec « Période glaciaire » Nicolas de Crécy offre un nouveau regard sur les chefs-d’oeuvres classiques du Louvre. On en connaît tous un certain nombre. Mais les avons-nous véritablement « vus » ?
La bande dessinée est une forme artistique assez spécifique. Elle offre à un large public un accès à l’image narrative, dans l’intimité de sa propre maison. Une situation dont les amateurs d’art, avant la naissance de la lithographie au XIXe siècle, ne pouvaient que rêver.
La plupart des auteurs de bande dessinée ont l’habitude de créer avec le crayon ou le pinceau. Néanmoins, ils ne travaillent pas pour la salle d’exposition : ils travaillent pour être imprimés. Ils créent des livres, pas des expositions. C’est pourquoi leur art spécifique peut toucher un très large public.
Pour les artistes d’autrefois cette situation était inconcevable. En éveillant le monde sur la toile, ils exécutaient une sorte d’acte magique. Ayant fini leur peinture, ils pouvaient exposer ou vendre l’oeuvre, mais s’ils voulaient offrir à d’autres personnes l’opportunité d’apprécier leur art (ou désiraient de garder l’image eux-mêmes), ils se trouvaient obligés d’en peindre une copie, de garder les esquisses préparatoires ou de faire une gravure d’après l’original.
Depuis la découverte de la lithographie, les artistes disposent d’une manière beaucoup plus facile d’atteindre leur public. Ils peuvent garder eux-mêmes leurs oeuvres originales. Dorénavant, ils peuvent aussi montrer à leur public des reproductions de leurs oeuvres. De nous jours, on voit la plupart des images pour la première fois en version imprimée ou sur l’écran. Pensons, par exemple, à la quantité innombrable de reproductions de la « Joconde ». Ce n’est pas pour rien que, déjà en 1936, le philosophe de la culture Walter Benjamin parlait de « l’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ». La plupart d’entre nous connaissons la Joconde par des manuels d’histoire de l’art: c’est par leurs commentaires que l’on sait d’où vient la renommée mondiale de la Joconde.
C’est le genre de livres que les Musée du Louvre Éditions publient déjà de longue date, dans le but de faire pleinement apprécier du public les oeuvres exposées. C’est que les oeuvres du patrimoine culturel n’existent jamais « en soi ». Présentées dans un contexte neuf, elles prennent une signification nouvelle. De ce point de vue, le Musée du Louvre est bien davantage qu’une bâtisse monumentale avec des grandes oeuvres d’art. Le Louvre n’est pas qu’un musée, le Louvre est un kaléidoscope.
Car savoir c’est regarder. Le simple fait de tenir ses yeux ouverts ne veut pas dire que l’on voit tout de suite tout ce qu’il y a à voir. Un historien d’art ne regarde pas de la même façon qu’un touriste, et un touriste ne regarde pas de la même façon qu’un auteur de bande dessinée. L’identité d’une personne définit ce qu’elle voit. Et quand on a une culture visuelle ou une formation intellectuelle plus élevée, on a le regard plus développé. C’est pourquoi le Musée du Louvre fait davantage que d’exposer des oeuvres flanquées d’un petit panneau mentionnant en quelques mots l’auteur de l’oeuvre, son titre et sa date de création.
Les histoires de l’art sont le moyen le plus connu pour introduire des oeuvres d’art. Mais une bande dessinée comme « Période glaciaire », elle, peut aussi très bien contribuer à la vie du patrimoine mondial culturel. Les reproductions des images vues par Nicolas de Crécy au Louvre attestent d’un regard alternatif, mais non moins attentif. Ces images nous invitent aussi à insuffler la vie à la « Joconde » et à des dizaines d’autres objets dans le musée. Puisque le Louvre est davantage qu’une bâtisse : le Louvre est un kaléidoscope qui nous apprend à voir le monde de façon nouvelle.